Les temps qui viennent de passer nous laissent assis sur le pavé et méditant. Nous avons marché, courru dans Paris, nous avons espéré et nous espérons encore voir ce vieux monde s'écrouler, monde vétuste et sans joie comme nous le chantions à vingt ans. Nous avons respiré les fumées âcres de la République, nous avons pleuré sous son poison mais aussi d'émotion. A l'heure ou plus rien n'existe, où pour quiconque la modernité entraine l'humanité dans sa chute, où le régime et les systèmes semblent si bien installés sur un pouvoir d'illusion médiatique diablement efficace, à l'heure où le sombre désespoir venait encore frapper et flageller notre conscience, à cette heure du vide, l'espérance est venue nous reprendre, la providence nous fit remonter dans sa barque. Telle cette loi immuable des enfants de Dieu, tel Israël, c'est toujours au bord de nous même que nous sommes sauvés.
Que dire alors des temps passés : que tout en nous y fut aspiré, notre intelligence et notre espoir, notre bêtise et notre désespoir. Que pour la première fois depuis longtemps nous avons été compris ; oui nous sommes fascistes, oui nous sommes monarchistes, oui nous aspirons au chaos, oui nous sommes ultra-violents, oui nous sommes homophobes, oui nous voulons renverser la table, oui nos sommes fous et fanatiques, oui nous sommes racistes, oui nous sommes alcooliques, drogués, oui nous sommes la somme de dégoûts lâches du monde, oui nous avons dans nos sacs des barres de fer, des bombes que à la première occasion nous lancerons sans frémir au visage de la gentillesse. Oui, bien sur nous sommes tout cela et plus encore que nous ne pouvons avouer.
Nous avons été compris plus que jamais car nous avons été aimés tel que nous sommes, Providence nous donna d'être cela que nous fûmes en paix, nous prenant par la main et elle nous fît voir ce qui se jouait derrière le rideau des apparences : un immense amour, un amour pauvre, un amour d'enfant.
Assis sur le pavé froid et humide, la rage et la colère nous ont quitté mais aussi la lâcheté et l'indifférence. Notre radicalité a changé, a mué, nous avons laissé les oripeaux des costumes que nous endossions, nu face au monde nous sommes décidés à entrer dans la seule lutte, la lutte totale, la lutte de la lumière contre les ténèbres.
Rien de moins car nous aimons à rire.